L’environnement et nous : entre schizophrénie et hypocrisie morale, l’optimisme a-t-il encore une place ?

Publié le 14 Août 2014

Je suis un peu désemparé… Je m’excuse donc par avance du ton de mon article, qui risque de trancher avec les images du 13 h de Jean-Pierre Pernault qui, vacances obligent, ne parle en ce moment que de plages, de vacances et de ratatouilles avec-les-légumes-qui-sentent-bon-le-sud.

Je suis donc désemparé car, hier, j’ai regardé le film documentaire Gasland (en rediffusion sur Arte). Ce reportage dépeint la réalité de l’exploitation des gaz de schiste aux États-Unis et notamment les conséquences dramatiques et irréversibles de la fracturation hydraulique sur l’état sanitaire des eaux profondes et de surface. Pour résumer et faire (très) court (parce que ce n’est pas directement ce dont je veux parler ici) : là où la fracturation hydraulique est pratiquée dans le sous-sol, c’est-à-dire un peu partout aux États-Unis, la vie disparait peu à peu. C’est vrai, ce n’est pas très réjouissant et, franchement, j’aurais préféré mater un truc plus rigolo, un bon vieil épisode de Friends par exemple (attention la vidéo du lien est creepy).

Encore tout remué par mon visionnage, je le partage dans la foulée sur le réseau social que tout le monde ou presque utilise mais que tout le monde ou presque déteste (avec un petit mépris en option), aka Facebook. Et moins de 15 minutes après, je reçois un message privé d’un ami, que nous appellerons Simon, qui m’écrit à peu près en ces termes : « En général j’aime bien ce que tu partages, mais là c’est l’été, on aimerait bien souffler et voir des choses positives, donc ton reportage non merci ». Sur le moment ça m’a fait penser à l’ancien Président de la République Sarkozy déclarant en 2010 au salon de l’agriculture: « L’environnement ça commence à bien faire », enterrant en une seule phrase tous les efforts réalisés pendant 3 ans dans le cadre du Grenelle de l’Environnement qu’il avait, lui-même, mis en place. Je suis toujours émerveillé de voir comment la démagogie repousse sans cesse ses propres limites, mais c’est un autre débat.

Évidemment, le message de Simon m’a un peu surpris, pas mal vexé et finalement assez énervé aussi. Puis j’ai essayé de comprendre et de me mettre à sa place. Autant se mettre à la place de Sarkozy est relativement facile : en lâchant cette phrase au salon de l’agriculture, il se met les agriculteurs en poche, du moins pour un petit moment. La méthode n’en est pas moins navrante mais disons qu’il y a une logique électorale que l’on comprend facilement. Mais pour Simon, c’est moins évident. Qu’a-t-il ressenti au moment où, sur son fil d’actualité, la vidéo que j’ai partagé est apparue ? J’essaie de me mettre à sa place: Simon vient de bosser non-stop depuis 7 mois, il est bombardé toute la journée par des médias qui ne lui parlent que de la crise en Ukraine, en Palestine, en Irak, du virus Ebola, de l’embargo Russe, du suicide de Robin Williams et de la démission de Ribéry (Simon ne regarde pas Jean-Pierre Pernault et les reportages sur la ratatouille). Avec cette actualité « chargée » comme dirait Claire Chazal, rajouter un reportage sur la dégradation de l’environnement, tout intéressant qu’il soit, a peut-être été la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Et aujourd'hui partons dans le village de Bouscasse où se perpétue, de mère en fille, la véritable recette de la ratatouille provençale

Et aujourd'hui partons dans le village de Bouscasse où se perpétue, de mère en fille, la véritable recette de la ratatouille provençale

Car, il faut bien le constater, les problèmes environnementaux sont vus comme des variables d’ajustement de l’information : quand tout va bien (ou presque) on est autorisé à en parler, quitte à plomber un tout petit peu l’ambiance. Mais quand tout va mal, on est beaucoup moins enclin à le faire et tout ce fourbi écolo « ça commence à bien faire » comme dirait le sus-nommé.

Tout ceci n’excuse évidemment rien mais, de toutes manières, ce post n’a pas pour objet de dresser un plaidoyer pour ou contre qui que ce soit. En fait, après le message de Simon, j’ai simplement essayé de comprendre quelles relations nous entretenions avec les problèmes environnementaux et ce post tente d’y apporter une réponse. D’ailleurs le simple fait de parler de « problème » environnemental est caractéristique : nous ne voyons l’environnement que comme un problème. Ce qui suppose que pour le résoudre il faut en passer par une contrainte, qui a une connotation négative, j’y reviendrai en conclusion. Je me suis rappelé des anecdotes et des discussions, j’ai essayé de les mettre en perspective et de comprendre pourquoi Simon, et nous tous, somme si peu enclins à voir la réalité en face quand il s'agit d'environnement.

La grande schizophrénie

La première anecdote remonte à deux ans en arrière, au moment des discussions autour de la taxe sur l’huile de palme dit «amendement Nutella ». Les discussions allaient alors bon train, tout le monde ayant sa petite opinion sur le sujet. Un jour, alors que j’allais justement donner un cours sur les taxes environnementales - le hasard fait bien les choses- un groupe de jeunes collégiennes m’arrête dans la rue pour m’interroger sur l’amendement Nutella, elles faisaient un sondage pour leur exposé d’éducation civique. Je ne me souviens plus en détails des questions mais je réponds, en substance, que oui, je suis pour la mise en place d’une taxe sur l’huile de palme et que non, ça ne me pose pas de problème de payer plus cher le Nutella. Stupéfaction générale : je devais être le seul interviewé de la journée à ne pas se plaindre de devoir acheter cette denrée alimentaire absolument nécessaire qu’est le Nutella 30 % plus cher.

  • « Mais enfin monsieur vous n’aimez pas le Nutella ?
  • Mais si, j’adore ça. Et vous vous n’aimez pas les orangs-outangs ?
  • … (petit silence gêné

Après une explication plus poussée sur les conséquences de la monoculture d’huile de palme, la mondialisation des denrées alimentaires, la réduction de la superficie des habitats forestiers et leurs conséquences catastrophiques sur la biodiversité (je leur ai fait cadeau de la définition de l'externalité environnementale), les jeunes filles me quittent un peu désemparées, plus trop sûres de la conclusion qu’elles voulaient donner à leur étude. Mais cette anecdote est finalement révélatrice de quelque chose de beaucoup plus général. Il existe en effet une sorte de « schizophrénie » qui nous pend au nez dès lors que notre pulsion de consommation est déconnectée de ses conséquences en amont. Nous sommes tous d’accord pour dire que les orangs outangs sont trop mignons et qu’il faut les protéger mais nous sommes aussi une majorité à penser que le Nutella c’est super bon et qu’augmenter son prix ou le taxer est un sacrilège. Entre les deux que se passe-t-il ? Je dirais deux choses : le manque d’information mais, surtout, le marketing.

Moi aussi je suis mignon!

Moi aussi je suis mignon!

Regardons ce qui se passe au niveau de l'information tout d'abord. L’information scientifique existe souvent mais n’est pas toujours vulgarisée c’est-à-dire exprimée en des termes compréhensibles du plus grand nombre, par exemple sous la forme de brochures, de documentaires, d’articles dans les journaux grand public, etc. Quand elle est vulgarisée, la simplification qui en résulte peut conduire à des contre-sens voire des erreurs d’interprétation, ce qui conduit à des amalgames, ou des controverses, augmentant finalement l’opacité de cette même information et desservant sa cause. Même lorsqu’elle est « bien » vulgarisée, elle n’est pas systématiquement diffusée, notamment au nom du sacro-saint « l’environnement ça commence à bien faire » lui-même découlant de la sacro-sainte rentabilité financière (ou électorale) court-termiste. Ceux qui vont la chercher et la diffusent sont alors souvent taxés de rabat-joie, je viens d’en faire l’expérience. A cela se rajoute le besoin de « buzz » médiatique conduisant parfois à mettre sur un pied d’égalité une information découlant du travail de milliers de scientifiques chevronnés et l’opinion subjective d’une poignée d’hurluberlus. Je fais ici évidemment référence au débat, qui ne devrait pas exister, entre les scientifiques du Groupement Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) et les « négationnistes » du changement climatique, dont nous ne sommes malheureusement pas exempts en France.

Au final, lorsque l’information, objective et compréhensible, arrive à destination, c’est-à-dire dans nos oreilles, sous nos yeux ou les deux à la fois, elle doit encore combattre une armée autrement plus organisée: le marketing et la publicité.

Pas besoin de sortir de Harvard pour comprendre que ce qu’on nous vend n’a pas grand-chose à voir avec les images véhiculées pour nous inciter à l’acheter. Non, les œufs « premier prix » n’ont pas été pondus par des poules gambadant dans des prés verdoyants mais par des poules élevées en batteries ayant 20 cm carrés d’espace vital, n’ayant jamais vu la lumière du jour et auxquelles on a ôté la moitié du bec pour éviter qu’elles ne s’entretuent. Non, ce magnifique morceau d’épaule sous vide n’a pas été cuit « dans le torchon » avec la cocotte de mamie mais a été imprégné de nitrites de sodium dans de grandes bassines après un abattage et un découpage qui n’ont pas grand-chose à voir avec le slogan de la publicité Herta « le goût des choses simples ». Je m’arrête là, les exemples sont infinis. Le fait est que, quand bien même nous savons tout ça, nous tombons tous dans le panneau, et nous achetons ce que nous voyons sur l’emballage !

Mais en revanche, passons à côté de la réalité, c'est mieux pour tout le monde.

Mais en revanche, passons à côté de la réalité, c'est mieux pour tout le monde.

Ainsi lorsque nos amies collégiennes achètent du Nutella, elles achètent les noisettes et le verre de lait doublé des images de voiles, et d’activités sportives en tous genres où tout le monde est heureux, sportif et mince. Elles n’achètent évidemment pas la déforestation, la réduction de la biodiversité et l’épandage des pesticides (et leur culotte de cheval). Elles achètent une illusion, la réalité leur est cachée car la réalité n’est pas bonne vendeuse.

Elles ne sont donc pas schizophrènes au sens littéral, elles sont plutôt dupées. Et nous sommes en permanence dupés. Or, là où ça se corse c’est que, tout en sachant que nous le sommes, nous nous complaisons tout de même dans cette duperie. Ainsi, lorsque Simon –un chouette gars par ailleurs- me demande de ne pas l’alerter sur des problèmes environnementaux pendant sa « trêve estivale », ne se vautre-t-il pas volontairement dans sa duperie ? Je ne lui lance pas la pierre et d’ailleurs qui peut lui en vouloir ? Entre vivre dans le rêve et vivre dans la réalité, il est évidemment humain de vouloir vivre dans le rêve. C’est ce que nous faisons tous. En outre, le reportage Gasland le montre bien : tant que cette réalité n’interfère pas directement avec notre confort personnel (qui se traduit dans le reportage par le fait que l’eau du robinet devient toxique et l’air cancérigène, autrement dit on est déjà sur un sacré niveau d’interférence avec le confort personnel quand même), en d’autres termes tant que nous ne sommes pas au pied du mur, nous préférons le rêve à la réalité.

L’hypocrisie morale

Préférer le rêve à la réalité est donc humain. Tout comme racheter sa culpabilité par une B.A. bien placée. Le message de mon ami hier m’a ainsi rappelé une autre anecdote qui date de l’année dernière. C'était au cours d'un apéro et je discutais environnement avec l’amie d’une amie, nous l’appellerons Clothilde. Clothilde adore les animaux, surtout les chatons sur Youtube et les dauphins du Seaquarium, du coup elle « donne à Greenpeace » mais, par ailleurs, Clothilde a du mal à faire la différence entre un poulet bio et un poulet de batterie. Après lui avoir expliqué l’intérêt du bio et avoir suscité, je pense, un peu de culpabilité de son côté (ce qui n’était pas mon intention d’ailleurs) elle me lâche l’air de rien : « bah j’espère qu’avec toutes tes belles idées, tu donnes à Greenpeace quand même ». Non, je ne donne plus à Greenpeace, mais passons, là n’est pas le sujet. Le sujet est précisément que Clothilde, qui donne à Greenpeace, pense que cette action lui permet un crédit « moral » sur l’environnement : je donne à Greenpeace donc je peux me permettre d’utiliser un peu plus ma voiture, de consommer du Nutella ou des poulets pas bio parce que bon, hein, j’ai déjà fait ma B.A. en matière d’environnement. Voilà, en substance, ce que Clothilde voulait me dire. En fait, cette réaction a été étudiée et a fait l’objet de plusieurs articles scientifiques. Lisette Ibanez une collègue et amie de l’INRA (elle travaille au Lameta à Montpellier) étudie notamment les liens entre choix de consommation et environnement et a publié avec des collègues une tribune dans Le Monde qui explique ce phénomène sous le nom d’hypocrisie morale. L’idée est qu’avoir fait sa B.A. environnementale semble nous donner le droit de nous comporter, par ailleurs, avec moins de déférence par rapport à ce même environnement. Tout comme avoir bu un coca zéro semble nous donner le droit de manger un peu plus de frites, parce qu' « on a le droit, après tout, on a fait un effort par ailleurs ». Du coup je m’interroge, en donnant à Greenpeace, Clothilde essaye-t-elle de racheter son comportement de tous les jours ? Si c’est le cas, il y a malheureusement un risque que ce soit contre-productif comme le montre l’article de Lisette et ses collègues, et cela me conforte dans l’idée que les grandes ONG environnementale sont peut-être nécessaires mais certainement pas suffisantes et ne doivent surtout pas se substituer à une prise de conscience profonde et quotidienne.

En définitive nous sommes tous des Simon, Clothilde ou des collégiennes et nous préférons la plupart du temps vivre dans un rêve et ce, d’autant plus que l’on a fourni quelques efforts sous la forme d’une contribution à une ONG comme Clothilde ou d’un comportement ponctuellement plus vertueux (un achat bio par exemple). La seule solution possible est donc de construire un autre rêve que celui qui nous est vendu, un rêve qui soit compatible avec la protection de l’environnement. C’est ce qu’on appelle les « solutions positives ». Ces solutions positives émanent de tous les secteurs : énergie, agriculture, tourisme, industries et de tous les pays. L’idée est de ne plus présenter la préservation de l’environnement comme un problème ou une contrainte mais comme un atout. Le changement de registre sémantique peut sembler secondaire mais il est central.

Une de mes craintes néanmoins est que toutes les « solutions positives » qui se développent aujourd’hui, arrivent trop tard et ne soient pas suffisantes. Je suis à la fois émerveillé de toutes les initiatives positives dans le secteur énergétique, agricole et humain mais je dois aujourd’hui mobiliser beaucoup d’optimisme pour me dire que ces initiatives peuvent changer le cours des choses.

Alors je vous vois déjà me demander : que peut-on faire pour vraiment faire changer les choses? Certainement pas se reposer sur les épaules des hommes politiques dont on sait bien qu’ils ne considéreront l’environnement que sous l’angle électoral. L’exemple de Sarkozy est parlant tout comme celui de Bush père qui avait déclaré en son temps « le mode de vie des américains ne se négocie pas ».

Finalement, je crois que la première, et peut-être la principale, chose à faire est de ne plus considérer les actions visant la protection de l’environnement comme des contraintes mais de les considérer comme des opportunités. Par exemple réduire sa consommation de Nutella est une opportunité pour manger plus sainement, moins gras et moins sucré. Manger local et bio est une opportunité pour aller faire un tour au marché du quartier, afin de rencontrer les producteurs, leur demander comment poussent leurs légumes ou comment grandissent leurs poulets. Devenir végétarien est une opportunité pour découvrir de nouveaux légumes et redécouvrir l’art de cuisiner. Réduire ses déchets en produisant son propre compost est une opportunité pour produire son propre terreau et son propre engrais (tout en limitant le nombre de poubelles et la corvée qui va avec). Faire du covoiturage est une opportunité pour rencontrer de nouvelles personnes et réduire ses coûts de transport. Installer un poêle à bois est une opportunité pour avoir droit à un beau feu de bois en hiver tout en réduisant sa facture de gaz et/ou d'électricité. Les exemples sont infinis. Surtout ils montrent que, quel que soit l’action de protection de l’environnement en question, on peut lui trouver des côtés positifs. La route est encore longue car il s’agit d’un changement de point de vue drastique, qui demande une certaine ouverture d’esprit, du moins au début. Mais je suis persuadé que ceci est à la portée de nous tous, alors en route!

Rédigé par Le jardinier nancéien

Publié dans #Environnement & économie

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