Alimentation et émissions de gaz à effet de serre ou comment je suis devenu végétarien

Publié le 11 Mai 2014

Hier soir, alors que je discutais avec un ami les raisons qui m’ont poussé à me convertir au végétarisme il y a 6 mois, je me suis rendu compte que mes arguments étaient vagues et finalement pas très convaincants.

Mon argument principal, consistant à dire qu’il faut entre 4 et 11 calories d’origine végétale pour produire 1 calorie d’origine animale[1] (FAO, 2009) est, certes, parlant mais ne permet pas de faire le lien directement entre l’impact de la consommation de viande et les changements climatiques via les émissions de gaz à effet de serre (GHG pour greenhouse gases). Or lorsqu’on parle d’impact environnemental de la production de viande, on parle évidemment de son impact sur les émissions de GHG.

Du coup, je me suis décidé à mettre à profit ce dimanche après-midi humide et gris pour faire un brin de biblio et remettre mes arguments à plats. En plus ça m’a forcé à commencer la lecture du nouveau rapport du GIEC qui est sur ma to-do list depuis un mois.

L'idée de ce billet n’est pas de faire du prosélytisme pour le végétarisme mais plutôt d’essayer de montrer, en s’appuyant sur des articles scientifiques récents, comment nos choix alimentaires jouent sur les émissions de GHG. D’ailleurs, j’y reviendrai en conclusion, le végétarisme n’est pas nécessairement LA solution au niveau global, et ce pour plusieurs raisons.

Commençons par le commencement, c’est-à-dire par comptabiliser les émissions globales de GHG provenant du secteur agricole.

Les chiffres du rapport du GIEC nous indiquent que les émissions directes du secteur agricole comptent au total pour environ 4.4 à 5.2 GtCO2 éq/an. La métrique utilisée appelle quelques commentaires pour les non-initiés. En fait, on parle beaucoup du CO2 mais ce n’est pas le seul GHG. Dans le secteur agricole, il est même minoritaire en comparaison au méthane (CH4, en provenance de la fermentation du fumier, culture du riz et fermentation entérique) ou du protoxyde d’azote (N2O provenant de la fertilisation des sols). Or, il est tout de même plus simple de tout « traduire » en « équivalent CO2 » en tenant compte de la force radiative (c’est-à-dire le pouvoir de réchauffement global) de chaque molécule ramenée à celle du CO2. Voilà pourquoi les chiffres sont donnés en « Gt CO2 éq ».

Ce chiffre représente peu ou prou 10-12 % des émissions totales de GHG (qui représentaient 49 (+/- 4.5) GtCO2 éq/an en 2010), ce qui n’est pas rien. Mais ce chiffre ne tient pas compte des émissions indirectes de GHG induites par l’agriculture. En effet, pour produire des céréales ou faire paître le bétail, il faut des terres. Or pour des raisons que les économistes appellent « avantages comparatifs »[2], il est globalement plus « rentable[3] » d’utiliser les terres des pays du sud. Or, c’est dans ces pays du sud que se trouvent les forêts tropicales et équatoriales, à fort potentiel de séquestration de carbone. S’ensuit une lutte entre conservation des forêts et déforestation à but de production agricole dont l’issue est bien souvent en faveur de la production agricole (mais la question mériterait un billet à part entière).

A ce stade, certains d’entre vous se disent peut-être : bon d'accord je peux continuer à lire tranquille, je ne me sens plus vraiment concerné puisque le bœuf que je mange viens de la ferme d’à côté. Malheureusement, rares sont les fermes qui n’importent pas le fourrage utilisé pour nourrir leurs bêtes (céréales et protéagineux) depuis l’autre bout du monde, au gré des fluctuations des marchés des céréales et autres fourrages… L’élevage d’un bœuf dans le Loir-et-Cher a donc un impact direct sur les émissions de GHG mais a également toutes les chances d’avoir un impact indirect sur ces émissions, en favorisant la déforestation de forêts tropicales pourtant situées à l'autre bout du monde.

Cette déforestation, justement, entraîne des émissions massives de GHG à travers plusieurs canaux impliquant (1) le carbone contenu dans le bois des arbres vivants mais aussi (2) tout le carbone contenu dans le sol. Au total, les émissions dues à la déforestation et aux changements d’usage des terres comptent pour environ 4.3─5.5 GtCO2 éq/an, c’est à dire 9─11% des émissions totales de GHG.

Néanmoins on ne peut pas imputer toutes ces émissions à la production agricole, la déforestation et le changement d’usage des terres pouvant également découler d’autres déterminants dont la production de bio-énergie. Le problème dans ce cas, c’est qu’il est difficile de distinguer la cause du changement d’usage des terres par les techniques d’observation utilisées (satellite) et qu’il faut souvent recouper les images avec des données sur l’activité économique pour chaque pays.

Retenons donc que l’agriculture représentait 10 à 20% des émissions (directes et indirectes confondues) de GHG d’origine anthropique en 2010.

Maintenant venons-en aux conséquences d’une modification de notre alimentation, et notamment d’un régime végétarien, sur ces émissions. Dans le rapport du GIEC on appelle ça les « options d’atténuation [sous-entendu du changement climatique] liées aux modifications alimentaires ».

Déjà, ce n’est pas une surprise, mais les études basées sur des méthodes d’analyse de cycle de vie (LCA pour Life-Cycle Analysis) montrent que la production d’aliments végétaux émet moins de GHG que la production d’aliments animaux même s’il existe des exceptions comme les légumes cultivés sous serres chauffées ou transportés par avion (hum… les bons ananas victoria de la Réunion!).

En 2009, Carlsson‐Kanyama et González ont comparé trois repas servis en Suède contenant la même quantité d’énergie ET de protéines.

  • Repas 1 : soja, blé, carottes, pommes.
  • Repas 2 : porc, pommes de terre, haricots verts, oranges.
  • Repas 3 : bœuf, riz, légumes surgelés cuisinés et fruits tropicaux.

Sur cette base, ils ont montré que le premier repas émettait 0.42 kg CO2éq, le second 1.3 kg CO2éq et le troisième 4.7 kg CO2éq. Soit plus d’un facteur 10 de différence entre le premier et le troisième ! On notera que le premier ne contient pas de viande et privilégie les aliments locaux (donc avec moins de transport) alors que le troisième contient du bœuf et des aliments importés.

Néanmoins, tous les produits d’origine animale ne sont pas comparables: pour une même quantité de protéine finale, la production de viande de bœuf par exemple nécessite environ 5 fois plus de fourrage que la production de produits laitiers. En outre l’intensité des émissions dépend des techniques d’élevage, de l’alimentation du bétail, de l’intensité de la production et varie considérablement d’une région à l’autre. Ainsi, la viande produite en Europe et en Amérique du Nord émet globalement moins de GHG que celle produite en Afrique, en Amérique Latine ou en Asie.

Ensuite, des études basées sur des modèles globaux de projection de l’utilisation des terres montrent que les changements de régime alimentaires peuvent modifier considérablement les émissions de GHG. Popp et al. (2010) montrent que les émissions de GHG hors CO2 (c’est à dire uniquement CH4 et N2O) auront triplé en 2055, passant à 15.3 GtCO2éq/an si les régimes alimentaires actuels se maintiennent dans le futur. En revanche, en faisant l’hypothèse d’un régime alimentaire réduit en viande, ces émissions seraient réduites à 4.3 GtCO2éq/an[4] voire à 2.5 GtCO2éq/an si on y ajoute des mesures d’atténuation supplémentaires (améliorations génétiques, gestions des ressources, augmentation de la productivité des cultures, etc). Les différences sont donc conséquentes : division par 4 à 7 des émissions de CH4 et N2O suivant les scénarios à l’horizon 2055.

Évidemment je n’ai pas parlé ici des co-bénéfices liés à la réduction de la consommation de viande. Or ils sont potentiellement nombreux. Tout d’abord, les études se multiplient pour montrer qu’une réduction de la part de protéines animales dans les régimes alimentaires occidentaux sont associés à de nombreux bénéfices en terme de santé humaine.

Ensuite, il existe des co-bénéfices sociaux beaucoup moins évidents et pourtant très importants impliquant le déplacement et la perte de droits de propriétés des populations locales. En effet, la pression foncière pour la production de fourrage dans certaines parties du monde a d’ores et déjà conduit à des déplacements massifs de populations rurales vers des bidonvilles à la périphéries de grandes villes, et est en ceci vecteur de paupérisation et d’instabilité. A ce sujet je renvois tous les intéressés à l’excellent documentaire « l’adieu au steak » de Jutta Pinzler (autour de la quarantième minute pour les effets sociaux).

Alors en définitive, faut-il prôner le végétarisme à l’échelle globale ?

Paradoxalement, je dirais non si l'on parle à l'échelle globale, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il faut noter que l’absence de viande dans les régimes alimentaires peut se répercuter par une pression accrue sur les ressources halieutiques déjà surexploitées. Ensuite, le PIB de la production animale compte pour environ 40% du PIB total agricole et, dans certains pays en voie de développement, la production animale fournit une ressource financière pour de nombreux ménages modestes. Enfin, et peut-être surtout, si des effets bénéfiques sur la santé ont été mis en évidence dans les pays du nord, la viande constitue une source de protéine très précieuse pour les populations souffrant de malnutrition.

En revanche, si seules les populations des pays les plus aisés (soit environ 1/5 de la population mondiale) adoptait un régime pauvre en viande, par exemple celui pris en compte dans l'hypothèse de réduction de la consommation de viande de Popp et al. (2010, voir ci-dessus), les émissions de GHG liés à l'agriculture pourraient être réduite de 15%, c'est certes peu mais finalement beaucoup pour une mesure à coût négatif qui présente de nombreux co-bénéfices.

Je dirais pour finir que le plus important n’est peut-être pas de modifier son régime alimentaire de manière drastique en éliminant tous les produits d’origine animale mais plutôt d’être conscient que ses choix alimentaires ont un impact différent sur l’environnement en fonction de la nature des aliments choisis. L’extrémisme n’est bon dans aucun domaine !

La prochaine fois je vous montrerai, à partir d’une étude réalisée au PIK, quels sont les impacts des échanges commerciaux de produits alimentaires sur les émissions de GHG ou comment je suis devenu locavore. Mais c’est une autre histoire.

Bibliographie :

Rapport FAO en français : http://www.fao.org/docrep/003/x3002f/X3002F04.htm

Rapport du GIEC (en anglais) : http://report.mitigation2014.org/drafts/final-draft-postplenary/ipcc_wg3_ar5_final-draft_postplenary_chapter11.pdf

Carlsson‐Kanyama A., and A.D. González (2009). Potential contributions of food consumption patterns to climate change, The American Journal of Clinical Nutrition 89 1704S–1709S pp. (DOI:10.3945/ajcn.2009.26736AA), (ISSN: 0002‐9165, 1938‐3207).

Popp A., H. Lotze‐Campen, and B. Bodirsky (2010). Food consumption, diet shifts and associated non‐CO2 greenhouse gases from agricultural production, Global Environmental Change 20 451–462 pp.

[1] Plus exactement, il faut :

  • 11 calories d'origine végétale pour produire 1 calorie de boeuf, ou de mouton;
  • 8 calories d'origine végétale pour produire 1 calorie de lait;
  • 4 calories d'origine végétale pour produire 1 calorie de porc, de volaille, ou d'oeuf.

[2] Principe démontré par l’économiste britannique David Ricardo en 1817.

[3] Evidemment la notion de rentabilité sous-jacente n’internalise pas ici les externalités environnementales.

[4] Ce scénario fait l’hypothèse d’une réduction de 25% de la part de viande dans l’apport calorique total, tous les 10 ans.

Rédigé par Le jardinier nancéien

Publié dans #Environnement & économie

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