J’inaugure avec ce billet une nouvelle catégorie d’articles un peu différente des autres, dans lesquels j’essaierai de faire part de mes réflexions sur l’environnement, la consommation, la production et l’économie des ressources naturelles en général.

Il y a une semaine de cela je tombais sur article du blog « même pas mal ! » (hébergé sur le site du Monde.fr) présentant un nouveau concept : les carrotmobs. Le principe est simple et franchement réjouissant: un groupe de consommateurs incite les commerçants à effectuer des aménagements durables dans leurs boutiques en leur proposant un « pacte » qui peut s’énoncer ainsi : "si nous sommes 500 carrotmobbers à venir consommer chez vous, que faites-vous pour le développement durable en échange ?"

C’est simple, sans intermédiaire, et du coup, c'est efficace : des actions ont été menées au États-Unis avec beaucoup de succès. L'efficacité de l'opération est encore renforcée par le fait qu’elle ne présente pas l’investissement durable comme quelque chose de contraignant, coûteux et à sens unique. Au contraire, ici, tout le monde y gagne: le propriétaire de la boutique voit son chiffre d’affaire augmenter en échange d’un réinvestissement (partiel) de celui-ci dans des aménagements durables pendant que le consommateur consomme en ayant la certitude qu’une partie de l’argent dépensé sera investi dans des aménagements durables pour des projets concrets qui lui tiennent à cœur.

Ce sont des stratégies dites « positives » et surtout « gagnant-gagnant » ou « win-win » en anglais.

Le terme « win-win » est d'ailleurs très employé dans la littérature scientifique notamment dans le domaine de l’économie du changement climatique. A l'origine, elle est issue de la théorie des jeux, une branche de l’économie comportementale. Une stratégie d’atténuation du changement climatique est qualifiée de « win-win » si elle présente un coût d’atténuation négatif, autrement dit si on a intérêt à l’entreprendre qu’il y ait, ou non, un bénéfice en terme climatique. Par exemple, le remplacement des ampoules à incandescence énergivores par des LED a permis de limiter les émissions de gaz à effet de serre tout en ayant allégé la facture des ménages à la fois pour la consommation d’électricité mais également pour le remplacement des ampoules, les LED ayant une durée de vie beaucoup plus longue. En d’autres termes tout le monde y a gagné: les consommateurs d'ampoules ont vu leur facture réduite et la collectivité dans son ensemble à travers l'atténuation des changements climatiques.

Depuis une dizaine d’année se développent tout un ensemble de stratégies win-win dans le domaine de la consommation. Je ne saurai prétendre l’expliquer scientifiquement – ce n’est pas directement mon domaine et je n’ai pas étudié la question, mais il est probable que l’apport massif de connaissances dans les domaines environnemental et sanitaire, la recherche de traçabilité qui en découle et la recherche d’un lien direct entre consommateur et producteur (qui en découle aussi) sont impliqués. Pour le consommateur il s’agit souvent de donner un sens à sa consommation, pour le producteur il s’agit de réduire les coûts de production par un partage des risques, de réduire les intermédiaires coûteux et de rendre l’information sur leurs produits la plus transparente possible pour… inciter les consommateurs à consommer.

En France le système d’AMAP (association pour le maintien d’une agriculture paysanne) cousines des ASC (agriculture soutenue par la communauté) québécoises, la ruche qui dit oui, ou encore les initiatives Disco soupe participent toutes de ce mouvement win-win.

Quand on analyse ces initiatives selon le prisme de la théorie économique, on se rend compte que ces initiatives, que d'aucuns pourraient qualifier d'« alternatives » et d'« hors marché », visent justement à rendre le marché plus proche du modèle de marché concurrentiel théorique qu’il ne l’est en réalité.

Voyons, avec quelques exemples, comment cela est possible.

Les AMAP représentent un système de consommation dont la popularité ne cesse de croître. En partageant les risques avec les consommateurs sous la forme de paniers prépayés, les producteurs des AMAP internalisent indirectement l’externalité environnementale liée aux risques climatiques. Autrement dit, ils engagent le consommateur à participer aux bénéfices ou aux coûts qui sont liés aux aléas climatiques. Ces bénéfices (récolte plus abondante que prévue) ou ces coûts (récolte moins abondante) sont intégrés aux prix négociés ex ante. Il s’agit, à une petite échelle, d’un exemple typique d’internalisation dans un marché de caractéristiques qui pouvaient sembler « hors marché » comme l’était la pollution atmosphérique encore récemment.

La ruche qui dit oui propose quant à elle, sur un même site internet, des produits provenant de plusieurs producteurs locaux, ayant très souvent des méthodes de production durable. L’accent est mis sur la transparence de l’information : le producteur s’engage à rendre ses méthodes de production transparentes. Les partenaires consommateurs font leur « marché » sur le site et récupère leurs achats dans un local prévu à cet effet. Ceci permet de réduire les coûts de transaction en évitant au consommateur de devoir naviguer sur plusieurs sites pour obtenir des produits différents. En outre le regroupement de plusieurs producteurs stimule la concurrence, et accroît l’atomicité du marché, ce qui rend la formation des prix plus concurrentielle. Ce marché virtuel est également bénéfique au producteur puisqu'il jouit de l’effet de masse lié au regroupement de producteurs.

Les liens entre l'initiative Disco soupe (récemment implantée à Nancy d'ailleurs!) et la théorie économique classique peuvent sembler plus flous. Le principe de Disco soupe est de lutter contre le gaspillage alimentaire en proposant de cuisiner (des soupes, et d'autres plats) les légumes rebuts des supermarchés notamment. Les produits ne sont certes pas échangés à travers un circuit économique classique mais l'initiative a le mérite de mettre le doigt sur l'impact environnemental du gaspillage des fruits et légumes non-calibrés: gaspillage d'eau, d'énergie, pollution des sols (engrais et pesticides utilisés en pure perte), émissions de gaz à effet de serre dues au transport et à la gestion des déchets: autant d'externalités (1) généralement non intégrées au système économique (puisqu’il faudrait payer, en achetant les "beaux" légumes, pour la pollution engendrée par les plus moches) et (2) dont on pourrait se passer puisque les légumes sont finalement jetés...

Résumons : internalisation des externalités, transparence et atomicité des marchés, baisse des coûts de transaction, transparence de l'information sur les impacts environnementaux de la production: ces nouveaux modes de consommation se rapprochent du modèle de concurrence pure et parfaite tel que défini au XIXe siècle par les économistes classiques, qui l'eut crû?!